PIERRA MENTA, LA MONTEE AU CIEL

Publié le par Daniel Duhand

La Pierra Menta, qui s’est courue le week-end dernier, est la course de ski alpinisme la plus difficile au monde. Chaque année les plus audacieux tentent leur chance sur ce tracé impossible et mythique.

 

C'est une légende savoyarde qui a la dent dure... Il était une fois un géant qui s'appelait Gargantua. Parti de son château au bord de la Loire, il voulut visiter l'Italie, traversa le Rhône et très vite arriva à Annecy. Devant lui alors, le mont Blanc se dressa. Trop fainéant, le géant le contourna. Mais une énorme pierre freina sa route. Gargantua la dégagea d'un coup de pied bien placé. Le rocher s'envola et retomba en plein coeur du massif du Beaufortain, 30 Km plus loin. La Pierra Menta était née...

Ce dôme monolithique, qui a la forme d'une dent, culmine à 2 714 m, au-dessus du petit village d'Arêches-Beaufort. Même si la légende, attribuée à Rabelais, s'est perdue à travers les âges, le nom du mythique sommet est réapparu cinq siècles plus tard, avec une nouvelle histoire à raconter. Celle de la course de ski alpinisme la plus difficile au monde, une épopée qui s'écrit depuis 22 ans, muant ses participants en véritables guerriers des cimes : quatre jours d'effort, 10 000 m de dénivelé positif, skis au pied. Une épreuve unique, l'Everest, en quelque sorte, du ski alpinisme.

3.000 spectateurs à l'assaut des cimes

L'histoire débute dès les premières lueurs de l'aube, à Arêches-Beaufort. À cinq heures du matin, ce samedi 17 mars, on fait déjà la queue devant le télésiège. Car ce jour-là se court l'étape la plus prestigieuse de la Pierre Menta, la troisième, celle qui emmène les concurrents sur le Grand-Mont. Trois mille spectateurs passionnés migrent vers ce sommet qui pointe à 2 686 m. Ils se pressent dans la vallée, se massent dans la file d'attente du débrayable quatre places qui tourne à plein régime. Quarante-cinq minutes à attendre patiemment son tour, dans la nuit noire ou presque. "J'ai la boule au ventre. La pression est différente aujourd'hui. C'est l'étape mythique, la montée vers le Grand-Mont", lâche fébrilement Clément Robert, 87e du classement, sur la ligne de départ. "Il faut les comprendre. Depuis qu'ils sont levés, on leur dit qu'il y a des bouchons sur les routes, que les télésièges sont pleins à craquer, qu'il y a là-haut une meute prête à les acclamer. C'est unique en ski alpinisme. Il n'y a qu'ici que l'on voit cela", explique Stéphane Brosse, venu cette année en touriste mais qui a déjà remporté trois fois l'épreuve.

Un serpent géant qui monte

Sept heures. Le soleil rayonne et les skieurs s'élancent enfin, pour une étape de 16,25 km, dont 2 581 mètres de montée. Au rythme de 1 400 mètres de dénivelé positif avalés toutes les heures, en tout cas pour les meilleurs, ils grimpent. Trois cent cinquante-huit concurrents, qui courent par équipe de deux, dont vingt-quatre femmes, remontent la piste rouge des Perches, que tout le monde descend d'habitude. La troupe s'étend. Elle se transforme en serpent géant, qui monte, monte, monte, tout droit sur des pentes à 40°. Après le col de la Forclaz (2 339 m), les concurrents attaquent l'Antécime, le sommet secondaire du Grand-Mont, à 2 630 m. La crête principale les nargue, à quelques mètres de là. Mais la Pierra Menta a des tracés que la raison ignore : les coureurs doivent replonger jusqu'au fond de vallée et réattaquer une nouvelle ascension pour atteindre enfin le Grand-Mont.

"Au début de la montée, il n'y a pas un bruit. Tout le monde est concentré. Le cadre est magnifique, paisible. Ensuite, il y a une arête, une fantastique arête. Le vide à gauche, le vide à droite, on passe à pied, les skis sur le dos. Et puis d'un coup, il y a ce cri. Enfin, ce n'est pas un cri, c'est un fond sonore d'une puissance infinie. Il résonne dans les oreilles. Ça vient juste de l'autre côté de l'arête. On bifurque. C'est alors que l'on aperçoit la foule, les cloches qui sonnent, les banderoles... On se sent galvanisé. On accélère, peut-être un peu trop mais ce n'est pas grave. C'est le Grand-Mont", raconte avec une énorme émotion Jérémie Teyssier, dossard n° 106, qui ne s'est pas encore remis de cette incroyable émotion. Le sommet, auquel on n'accède qu'après une pénible ascension à pied ou en peaux de phoque, est tout simplement noir de monde. Des centaines de spectateurs, qui sont tous venus là au prix d'un gros effort. La première habitation se trouve à des kilomètres, le dernier télésiège est à une heure et demie de marche, et pourtant, la foule est aussi dense qu'à une arrivée d'étape du Tour de France à L' Alpe-d'Huez. Sauf qu'ici il n'y a pas de bitume, juste de la neige et les sommets des Alpes à perte de vue. "Je vais vous dire Monsieur. J'ai 53 ans, voilà 18 ans que je grimpe ici et, pour rien au monde, je ne raterais une édition. Le jour où cela m'arrivera, ce sera vraiment triste pour moi", lâche André, qui est venu d'Albertville.

La fête dès 9 heures du matin

Il n'est que 9 heures du matin, mais la fête bat son plein ! Les sacs à dos des supporters débordent de fromages et de saucissons. Francis, 78 ans, offre des sandwichs à qui en veut. Lui et son fils ont emmené cent cinquante parts de merguez, 20 kg de bois, et un poêle presque aussi lourd tout là-haut... Jean-Paul, lui, fait retentir sa sampogn, cette énorme cloche de vache qui pèse plus de 30 kg. Il l'a emmené avec lui sur le télésiège et l'a ensuite trimballé jusqu'au sommet en ski. D'autres jouent de la trompette devant des banderoles à la gloire de leurs fils, frères ou simples amis engagés dans la course. Un vacarme réjouissant. En face, le mont Blanc regarde la scène, toujours un peu plus haut que tout le monde. Et sur sa droite, il y a la fameuse dent de la Pierra Menta. Rabelais n'avait pas menti, elle ressemble à une grosse molaire avec une belle gencive toute blanche.

Retour à la course. L'Italien Guido Giacomelli, grand favori, est le premier concurrent à couper la foule. Son partenaire transalpin, Hansjorg Lunger, suit difficilement, quelques mètres plus loin. Bien au chaud dans son sillage se trouvent Florent Perrier et Grégory Gachet, la paire tricolore, mieux, le duo Beaufortain. Au moment d'enlever les peaux de phoque, les enfants du pays prennent la tête. 20 secondes d’arrêt bien négocié, en plein coeur du public, sous les vivats, avant d'entamer la descente. Comme dans un conte de fée, ils regagnent la vallée, leur vallée, en tête. Et personne ne leur contestera plus la première place, jusqu'à la fin de la dernière étape, dimanche. Les deux amateurs de ce hameau de 2 000 habitants ont vaincu les "pros" italiens, suisses, slovaques ou espagnols.

Une nouvelle page de la légende Pierra Menta vient de s'écrire. Celle des petits hommes du coin qui ont vaincu la meute des favoris. Il faut dire que les deux coureurs ont grandi à l'ombre de la Pierra Menta et ont été abreuvés dès leur plus jeune âge par les fabuleuses histoires de la course. " J'en rêve depuis que je suis gamin. Quoi qu'il m'arrive maintenant en ski, je sais que j'aurai accompli ma quête ", avoue d'ailleurs Grégory Gachet. "L'étape du Grand-Mont, chez nous, on en entend parler 365 jours par an. Il y a tellement de pression, tellement d'engouement autour de cet événement. C'est ce que j'ai voulu réussir toute ma vie. Et ça y est, c'est fait", confirme son coéquipier Florent Perrier. Lundi, il est retourné travailler dans sa fromagerie. Parce qu'en ski alpinisme, on ne gagne pas sa vie... en gagnant des courses.

De notre envoyé spécial à Arêches-Beaufort, Geoffroy Bresson

 

Avec l’aimable autorisation de www.myfreessport.com

www.pierramenta.com

 

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